À Kinshasa, la capitale de la République démocratique du Congo, l’incivisme règne en maître. Les rues, transformées en dépôts sauvages, témoignent d’un abandon généralisé des règles et de l’autorité. Citoyens et dirigeants semblent complices de cette dégradation, révélant un effondrement moral de l’État. Une enquête sur les racines de ce chaos quotidien.
Dans les artères animées de Kinshasa, le spectacle se répète à chaque carrefour : des piles de briques, de sable, de pierres et de graviers encombrent les trottoirs et les avenues, transformant les espaces publics en véritables dépôts improvisés. Cette anarchie urbaine, loin d’être anecdotique, illustre un malaise profond au sein de la société congolaise. « À chaque coin de rue, c’est la même scène : personne ne respecte rien, et l’État ne fait rien pour arrêter ça », confie Jean-Pierre, un habitant du quartier de Matonge, qui préfère garder l’anonymat par crainte de représailles. Selon lui, cette impunité généralisée est devenue la règle, où chacun, du simple citoyen au dirigeant, agit comme bon lui semble.
Les autorités locales, censées veiller à l’ordre public, semblent absentes ou complices. Des rapports de l’ONG environnementale « Kinshasa Verte » indiquent que plus de 70 % des avenues principales de la ville sont régulièrement obstruées par des matériaux de construction déposés sans autorisation. « Nous avons alerté les services municipaux à plusieurs reprises, mais rien ne change. Les responsables eux-mêmes contribuent à ce désordre en tolérant ces pratiques », déplore Marie-Louise Tshibangu, présidente de l’association. Cette absence de réaction renforce le sentiment d’abandon chez les citoyens, qui voient leur environnement quotidien se dégrader sans que quiconque intervienne.
Cette situation n’est pas seulement une question d’esthétique urbaine ; elle symbolise un effondrement plus large de l’autorité morale de l’État. Comment exiger des citoyens qu’ils respectent les lois si ceux qui les édictent les piétinent ouvertement ? « L’exemple vient d’en haut », analyse le sociologue congolais Dr. Emmanuel Kimbangu, interrogé pour cette enquête. « Les dirigeants banalisent le désordre au point d’en faire un mode de gouvernance. Cela crée un cercle vicieux où l’incivisme devient la norme, et la société se discipline elle-même dans le chaos. » Des exemples abondent : des bâtiments officiels entourés de débris, des marchés informels qui débordent sur les routes, et une circulation anarchique qui paralyse la ville.
Les conséquences sont palpables. La dégradation des infrastructures entraîne des problèmes de santé publique, avec des eaux stagnantes favorisant la prolifération des moustiques, et des embouteillages quotidiens qui coûtent des heures et des ressources aux habitants. Selon une étude récente de la Banque mondiale, la congestion urbaine à Kinshasa représente une perte économique estimée à 500 millions de dollars par an. « Si rien n’est fait, Kinshasa risque de devenir ingouvernable », avertit un expert urbain sous couvert d’anonymat.
Face à ce constat amer, des voix s’élèvent pour réclamer un sursaut. Des initiatives citoyennes, comme des campagnes de nettoyage spontanées organisées par des groupes de jeunes, tentent de pallier l’inaction des pouvoirs publics. Mais sans une volonté politique ferme, ces efforts restent insuffisants. « Il faut que l’État reprenne le contrôle, impose des sanctions et donne l’exemple », plaide Dr. Kimbangu. « Sinon, Kinshasa continuera de se dégrader sous les yeux de tous, victime de son propre abandon. »
HERVÉ KABWATILA






























































