Le Consortium de Lutte contre la Corruption est monté au créneau pour dénoncer l’ingérence de l’assemblée nationale dans l’affaire Bukanga Lonzo, opposant le député national et ancien Premier ministre, Augustin Matata Ponyo et consorts à la Cour constitutionnelle.
Cette levée de boucliers fait suite à la déclaration du président de la Chambre basse du parlement, Vital Kamerhe appelant la Cour constitutionnelle à « régulariser » la situation de l’ancien Premier ministre poursuivi pour détournement présumé des fonds alloués au parc agro-industriel de Bukanga Lonzo.
Pour ce consortium constitué notamment de l’Observatoire de la dépense publique (ODEP), Association congolaise pour l’accès à la justice (ACAJ), la Ligue congolaise pour la lutte contre la corruption ( LICOCO) et les Intègres, cette position du speaker de l’Assemblée nationale, constitue une « ingérence politique grave » dans une procédure judiciaire en cours.
Ces structures dénoncent la violation du principe de séparation des pouvoirs consacré par l’article 150 de la Constitution, selon lequel « le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif ».
« Il n’y a point de liberté si la puissance de juger n’est pas séparée des deux autres », ont elle déclaré paraphrasant Montesquieu.
Ces organisations de la société civile affirment que l’élu de Kindu, alors Premier ministre, portait la responsabilité politique du projet Bukanga Lonzo dont les pertes pour l’Etat dépassent un milliard USD, d’après les rapports de l’Inspection Générale des Finances (IGF).
« En appelant à une régularisation politique, le Président de l’Assemblée nationale remet en cause l’article 12 de la Constitution, qui garantit que « tous les Congolais sont égaux devant la loi », et affaiblit les engagements de l’État en matière de lutte contre l’impunité et de bonne gouvernance. Comme le rappelait Norberto Bobbio, « un État de droit n’a de sens que si la loi s’impose également à tous, gouvernants et gouvernés », ont-elles souligné.
Dans cette logique, le Consortium appelle au respect strict de l’indépendance du pouvoir judiciaire.
« L’ingérence d’une autorité politique dans une procédure judiciaire en cours constitue un dangereux précédent qui fragilise non seulement la crédibilité des institutions, mais aussi la confiance des citoyens dans la justice. En contournant les mécanismes de redevabilité, cette posture contribue à l’érosion de l’Etat de droit et envoie un signal de tolérance à l’égard des crimes économiques. Or, dans un pays marqué par de graves défis sociaux et budgétaires, chaque dollar détourné est un frein direct au développement », rappellent l’ODEP, l’ACAJ, la LICOCO et les Intègres.
Dans cette affaire, le Trésor public a injecté 285 millions de dollars américains pour impulser la modernisation de l’agriculture, réduire la dépendance alimentaire extérieure et créer une dynamique de développement dans les zones rurales.
Cependant, selon l’IGF, seuls 80 millions USD ont été affectés aux activités effectives, laissant plus de 205 millions USD sans justification probante.
« L’arrêt prématuré du projet en 2017 n’a pas seulement marqué un échec programmatique, il a surtout engendré un manque à gagner considérable pour la collectivité nationale, notamment pour l’État, les ménages et les entreprises sous-traitantes », déplorent ces organisations qui estiment que ce projet stratégique a été vidé de son objectif et ce, au détriment de l’intérêt public occasionnant une perte économique colossale pour la RDC.
Face à ces préoccupations, ces organisations citoyennes appellent la Cour Constitutionnelle à
faire preuve d’indépendance et de neutralité, en s’abstenant de toute complaisance politique, et en appliquant la loi avec impartialité dans le dossier Bukanga Lonzo.
De son côté, le parlement a été encouragé à initier une réforme constitutionnelle visant à limiter expressément les immunités en cas de poursuites pour faits de détournement, de corruption ou d’enrichissement illicite, afin de restaurer la crédibilité du contrôle parlementaire.
Alors que l’IGF accuse Matata Ponyo d’être l’auteur intellectuel de ce vaste fiasco financier, l’ODEP, l’ACAJ, la LICOCO et les Intègres lui demandent, en tant qu’ancien Premier ministre et acteur majeur de la vie publique, de faire preuve de patriotisme en se mettant à la disposition de la justice, au lieu de se réfugier derrière une immunité destinée à protéger les fonctions, et non à couvrir des infractions présumées.
Mont Carmel Ndeo